Les médias hexagonaux montrés du doigt en Israël

עם ראש ממשלת צרפת, ז׳אן-פייר רפארן בירושלים - מרץ Premier ministre Jean-Pierre Raffarin - 2005

Courrier international.

Par Nitzan Horowitz, "Ha'Aretz"

Erreurs patentes ou soupçons infondés ? La couverture du conflit israélo-palestinien par les journalistes français est contesté par des juifs israéliens et français. Cette susceptibilité s’inscrit dans le cadre de relations passionnées.



Sur la scène internationale, il est difficile de trouver deux Etats ayant des rapports aussi passionnels qu’Israël et la France. Des sentiments réciproques d’estime, voire d’admiration, côtoient la déception, l’amertume et la trahison, surtout depuis le début de l’actuelle Intifada.

L’incident le plus récent et le plus mémorable a eu lieu dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur, qui, le 8 novembre, a publié une enquête [sur les “crimes d’honneur” en Jordanie] dans laquelle des soldats israéliens étaient accusés de violer des Palestiniennes, sachant qu’elles risquaient d’être tuées par leurs proches pour les avoir déshonorés. Au terme d’une tempête médiatique, cet hebdomadaire respecté s’est excusé d’avoir publié de fausses accusations [en les expliquant par “un défaut de guillemets et la suppression de deux phrases dans la transcription de l’article”].

Pour certains juifs et Israéliens, cette affaire n’est que la dernière dans une longue liste qui, selon eux, témoigne de l’attitude subjective, voire contraire à la déontologie, des médias français envers Israël. Ainsi, lorsque deux civils israéliens ont été assassinés à Tulkarem, l’AFP a parlé de deux soldats israéliens en mission abattus par des “membres de la résistance”. Après s’être plainte, l’ambassade d’Israël à Paris a été informée par l’AFP que la dépêche avait été transmise par un journaliste palestinien indépendant et que l’agence n’avait pas eu le temps de vérifier les faits. “Les autres agences de presse ont pris la peine de vérifier l’information en temps réel et de publier une dépêche fiable”, note un diplomate israélien.

L’AFP donne le ton de la plupart des médias français, en les alimentant en continu. “L’ennui, c’est que l’AFP est un organe gouvernemental [d’après son statut, l’AFP est un “organisme autonome”] et qu’elle colle complètement à la ligne du ministère des Affaires étrangères, se plaint le diplomate. C’est également la plus grande agence de presse au monde à travailler aussi en langue arabe. Elle envoie évidemment des correspondants en Israël, mais, vu la situation, ils ne se rendent pas dans les Territoires et ont alors recours à des correspondants palestiniens indépendants. Le reporter palestinien de Naplouse envoie des dépêches qui, par nature, ne peuvent être neutres, alors que son homologue français en poste à Tel-Aviv ou à Jérusalem envoie, lui, des informations neutres et équilibrées. Il n’y a pas d’intention délibérée de la part de l’AFP, mais sa méthode crée un déséquilibre.”

L’exemple le plus frappant a été fourni par la visite à Gaza du ministre des Affaires étrangères belge, Louis Michel, début 2001. La plupart des médias ont rapporté que Michel avait déclaré que les camps de réfugiés lui rappelaient les camps de concentration nazis. Devant le tollé qui s’ensuivit, le ministre belge émit un démenti virulent. La dépêche en cause était de l’AFP. Son correspondant local avait entendu une cassette et avait cru que c’était Louis Michel qui avait fait cette violente déclaration. “Le directeur de l’information de l’AFP a envoyé une lettre d’excuses au ministre, mais aucun des clients de l’agence n’en a entendu parler”, rappelle le diplomate israélien.

La focalisation israélienne sur la France est cependant exagérée et parfois trompeuse. Pour le diplomate israélien chargé de suivre ce dossier de près, la question se pose en ces termes : “Les médias français sont-ils contestables d’un point de vue israélien ? Oui. Sont-ils les plus contestables d’Europe ? Non, loin s’en faut. Les médias espagnols sont incommensurablement pires, suivis en cela par les médias portugais. Les Belges ont dérapé en 2001, les Danois sont tout aussi violents et les Irlandais sont épouvantables…”

L’amour-haine, un sentiment né à l’époque de De gaulle
Certaines des critiques émises envers les médias français portent sur la distinction parfois ténue entre faits et opinions. Les médias français sont moins informatifs que les anglo-saxons. Beaucoup de journalistes se considèrent comme des militants des droits de l’homme et comme des gardiens de l’héritage d’une France perçue comme la “patrie des droits de l’homme”. Pour eux, il est de leur devoir de défendre “les opprimés”. De même, l’attitude de la France est marquée par le traumatisme de la guerre d’Algérie et un certain sentiment de culpabilité. Il en va ainsi de l’emploi de termes comme “colonies” pour désigner les implantations juives dans les Territoires ou de “colons” pour parler de leurs résidents juifs.

Les griefs de nos interlocuteurs israéliens et juifs à Paris portent surtout sur les méthodes des correspondants français en poste en Israël. Beaucoup évoquent la manière dont la chaîne officielle [ou perçue comme telle] France 2 a couvert la mort du jeune Palestinien Mohammed el-Doura. “Le commentaire donnait l’impression que les soldats israéliens avaient visé le garçon dans l’intention de le tuer et c’est ce qui a provoqué un tollé”, estime le diplomate israélien.
Le correspondant de France 2 en Israël, Charles Enderlin, est le plus célèbre et le plus ancien correspondant français en Israël. Enderlin est un Israélien de Jérusalem. Contrairement à la plupart des correspondants étrangers, il parle un hébreu parfait et est totalement intégré dans la société israélienne. Il accomplit même ses périodes annuelles de réserviste dans l’armée israélienne. Habitué aux critiques, il rejette catégoriquement les accusations de “malveillance”. “C’est une accusation sans fondement. Quand un événement survient du côté palestinien, nous nous rendons sur place et nous rapportons la réaction israélienne. Lorsqu’il y a des attentats en Israël, nous les couvrons intégralement et en profondeur. Je n’ai jamais reçu de plaintes officielles israéliennes quant à un reportage biaisé ou manifestement falsifié. Mais, depuis que nous avons diffusé l’histoire du garçon à Gaza, peu importe mes reportages (interview de Nétanyahou, micro-trottoir ou documentaire scientifique). Il suffit que, dans un reportage, un Palestinien se plaigne de l’occupation pour que je sois attaqué.”

Interrogé sur la raison du sentiment israélien selon lequel la France et ses médias seraient hostiles à Israël, Enderlin répond : “C’est la faute à de Gaulle et à l’embargo [sur les armes, décidé par la France après la guerre des Six-Jours de 1967]. Les relations entre les deux Etats sont mêlées d’amour et de haine. Depuis 1981, les relations économiques franco-israéliennes n’ont jamais été aussi florissantes. Un Israélien peut se rendre en France sans visa, tandis qu’un Palestinien ou un ressortissant arabe doit patienter. Si l’attitude particulière de la France envers les Israéliens rend ces derniers amers, cela tient de la psychanalyse de groupe.”

Le diplomate israélien reconnaît que “les Israéliens ont une dent contre la France. Ils n’ont probablement pas oublié la volte-face du général de Gaulle en 1967. Les secousses de ce big bang dans les relations franco-israéliennes pèsent encore sur l’image de la France. Et il suffit que la visite de Chirac en 1996 provoque un incident [entre la délégation française et la sécurité israélienne dans la Vieille Ville de Jérusalem] pour que les Israéliens se voient confirmés dans leur conviction que la France leur est hostile.”

Enderlin et ses confrères français affirment que la critique n’influence en rien leur travail. “Tout doit être vérifié. J’ai un jour reçu un appel téléphonique outré du ‘terrible’ reportage que j’avais réalisé sur le Hezbollah. Or je n’ai jamais mis les pieds au Liban. A tous ceux qui se plaignent de notre travail je demande des preuves et des faits. Quiconque me prouve que je me suis trompé aura droit à mes frais à un repas à La Coupole.”