l’écart flagrant entre le discours par la République sur l’intégration et la manière dont vivent les millions de Français concernés

Nitzan Horowitz, le pont du Gard, 1994

Le Journal de Dimanche.

Par Nitzan Horowitz, « Ha’aretz »

Un correspondant israélien n’est probablement pas le mieux placé pour parler des soucis, des difficultés et des angoisses qui perdurent chez beaucoup de Français issus de l’immigration arabo-musulmane. Son point de vue, nécessairement, est influencé par l’amère réalité du conflit au Proche-Orient qui conditionne tant l’esprit des Israéliens que celui des Arabes (voir l’accueil enthousiaste réservé à Roger Garaudy dans plusieurs pays arabes…). Il convient de préciser d’emblée que cet article n’est pas une tentative de masquer le racisme qui affecte les relations judéo-arabes en Israël ou d’occulter la réalité de l’occupation israélienne en Cisjordanie. Le propos tenu ici sur une réalité française se détache de toute comparaison avec Israël et n’intervient pas pour valoriser une quelconque image du gouvernement israélien actuel. Il s’agit en revanche de dire les impressions qu’un observateur étranger, juif et conscient de la réalité de son pays, perçoit en vivant au quotidien depuis plusieurs années en France.

Une des premières choses qui interpelle un journaliste qui couvre la France est l’écart flagrant entre le discours donné par la République sur l’intégration et la manière dont vivent les millions de Français concernés. Il révèle que ces personnes – que l’on appelle ici « beurs » – sentent qu’ils n’ont pas leur place dans ce pays, leur pays. Il suffit de voir l’attention spéciale – et parfois musclée – fréquemment accordée par la police à ces jeunes dans le métro, dans la rue ou même à l’occasion de contrôles effectués aux portes de Paris le samedi soir. Il suffit de remarquer l’humiliation et la révolte sur leurs visages quand de nombreux propriétaires rejettent leurs demandes de location dès lors qu’un nom étranger, arabe de surcroît, figure en haut d’un dossier. Mieux encore, il suffit d’accompagner dans un taxi un ami d’origine arabe qui n’en a pas le « physique » et d’écouter le chauffeur déblatérer toute sorte de commentaires sur les «bougnoules qui pourrissent la France ». Scènes de la vie de tous les jours, ces situations expliquent l’amertume de ces jeunes français. Impossible de rester indifférent à ces mille et une expressions d’un racisme « ordinaire » qui, malheureusement, se sont ancrées dans la société française.

Les diverses conversations qu’un journaliste israélien peut avoir avec les beurs, les visites des banlieues, des mosquées, des discothèques et les interviews menées tant avec des responsables politiques que des militants associatifs montrent que le problème de l’intégration en France est loin d’être résolu.

Ce problème ronge la société comme un cancer. La haine engendre la haine, le mépris génère le mépris : le cercle vicieux de l’intégration ratée est né. L’intégration politique est inexistante à en juger par la non représentation et la non participation de parties entières de la population dans les institutions de la République. De prime à bord, ce phénomène qui perdure peut être expliqué par le temps nécessaire à toute intégration politique. Plus précisément, ce retard est dû au « déficit d’intégration » de la deuxième génération de l’immigration maghrébine, c’est-à-dire à l’absence d’une réelle politique volontariste et constructive sur le plan économique et social. Ce déficit, s’il n’est pas comblé, ira en s‘amplifiant. Là est le drame.

L’observateur étranger ne peut que s’étonner devant la répétition des mêmes erreurs. Celles qui ont conduit à l’échec de l’intégration des enfants des immigrants des années 50 et 60 sont commises au détriment des enfants nés en France de parents étrangers. Par l’application des lois Pasqua et Debré, ces enfants là ne sont pas systématiquement français et les conditions nouvelles que propose le gouvernement actuel ne remettent pas réellement en cause cette situation. N’est pas français celui qui naît en France…

Comment penser sérieusement que ces enfants qui parlent le français, qui vivent à Lille ou à Lyon, qui vont à l’école de la République, quitteront un jour la France sous le prétexte spécieux qu’ils n’ont pas le même statut que leur camarade de classe ? Ou peut-être souhaite-on voir une nouvelle génération de jeunes gens amers, frustrés et plein de haine contre le système qui ne leur a pas donné la possibilité de s’intégrer réellement ,ou pis, qui confond sciemment intégration et assimilation ? Faut-il vraiment lutter contre l’immigration clandestine au détriment d’un enfant de six ans, né en France, qui, réglementairement n’est pas « expulsable », et le laisser grandir comme un exclu et arriver à l’âge d’acquérir la nationalité, plein de colère et de dégoût envers toute idée de citoyenneté ?

Ces questions se posent évidemment en Israël et dans les mêmes termes. Toutefois en France, les conditions politiques et économiques pour les résoudre semblent beaucoup plus favorables. C’est un grand pays riche, malgré la crise, où règne la paix, et qui est au coeur de l’Union européenne. En définitive, il s’agit d’un pays qui s’est enrichi grâce à l’arrivée d’étrangers. Ceux qui pensent que l’immigration arabo-musulmane ne peut jouer ce rôle ont tort. Les immigrés représentent une chance extraordinaire pour la France. C’est à elle de choisir si elle veut en profiter ou si elle préfère un affrontement qui ne sera profitable pour personne.

Fin